Je me réveillais, haletante et transpirante, dans un endroit sombre que je ne reconnaissais pas. L’obscurité était tellement présente que je ne pouvais discerner ce qui se trouvait autour de moi. Néanmoins, j’avais une seule certitude : j’étais seule.
Une multitude de questions me vint en tête, mais la plus importante résonnait comme un écho dans mes pensées : comment avais-je atterri ici ?
Je me levai et commençai par le plus évident : essayer de reconnaître mon environnement. Pour cela, j’avançai à tâtons, les mains devant moi afin de pouvoir visualiser via le toucher où je me trouvais. Et contrairement à ce que j’imaginais, cela fut plus facile de me rendre compte de là où je me situais. Ou plutôt de là où j’étais enfermée.
Pourquoi diable étais-je enfermée d’ailleurs ?
Qu’avais-je fait de si mal pour qu’on me mette dans un cachot ?
Malheureusement, je n’en avais point la réponse. C’est ce qui me préoccupa le plus. Car cela ne pouvait signifier qu’une chose : que je ne me rappelais plus certains évènements. Et c’était plutôt préoccupant.
Il fallait que je trouve un moyen de me souvenir. Reprenons depuis le début.
Je m’appelle Victoria Deschamps, française du XVIIIe siècle. Mes parents sont le duc et la duchesse de Montreuil, réputés pour les terres qu’ils possèdent. Oui, mes parents sont immensément riches. Ce qui peut avoir quelques avantages et beaucoup d’inconvénients.
Mais alors, pensez-vous, comment cela se fait-il que mes parents ne m’aient pas sorti de là ?
Aucune idée.
D’où mon dilemme
Du haut de mes 18 ans, j’étais connue pour ma beauté et ma richesse. Enfin, celle de mes parents. Après tout, c’était bien eux qui établissaient ma dot. Une dot que beaucoup de gentlemans voulaient acquérir.
J’avais participé à énormément de bals et de parades, toujours accompagnée de ma fidèle chaperonne, Lydie, une dame âgée de 43 ans, sans mari.
Pourquoi précisé-je cela ?, me demanderiez-vous.
Parce qu’ici, ne pas avoir de mari signifiait être une ratée. Ce que mes parents ne voulaient absolument pas que je devienne. Mais ils ne me comprenaient pas. Je ne voulais pas épouser un homme ne voulant qu’une seule chose de moi : ma dot. Non, je rêvais d’amour et de respect. Je rêvais de liberté.
Ce que j’avais d’ailleurs trouvé. Mais pas avec un homme de bonne société, enfin, d’après mes parents. Seulement, Anthony était tout ce dont je n’avais jamais rêvé. Un peu plus âgé que moi, il était paysan dans un de nos champs. Il avait des cheveux d’or, que le soleil faisait briller ; des yeux bleus comme la mer dans lesquels j’adorais me perdre. Mais surtout, il avait le cœur le plus pur que je connaissais. Il me respectait et n’avait cure de ma dot, alors qu’il était pauvre. Il savait très bien que jamais, il n’aurait accès à l’argent de mes parents, même si par un quelconque miracle, nous arrivions à nous marier. Car tel était notre plan. Nous voulions nous enfuir afin de pouvoir vivre ensemble, libre de mes parents et de la société.
Quelque chose avait dû mal tourner, pensais-je, vu que je me retrouvais enfermée dans une geôle. Mais quoi ? Pourquoi ne me rappelais-je pas de ce moment-là, de notre fuite vers la liberté ?
Que nous était-il arrivé ? Et où était Anthony ?
J’espérais que rien de grave ne lui était arrivé, parce que sinon, jamais, je ne me le pardonnerais.
*
« Il est temps » fit une voix masculine dans mon dos.
« Je sais, » je réponds.
« Tu as des regrets ? »
« Aucun, » dis-je en me tournant vers Anthony.
Je m’approche de lui et prends ses mains dans les miennes. Il me sourit.
« Alors allons-y ! Je ne veux pas perdre une seule minute de plus pour être avec toi. »
Je pris mes affaires, sortis de chez moi en tenant toujours la main d’Anthony dans la mienne, et nous partîmes, sans un regard en arrière.
*
Le souvenir me donna un mal de tête. Il avait resurgi de mon subconscient sans crier gare et je ne savais quoi en faire. Mais au moins, était-ce un début. Et cela m’apprenait qu’Anthony et moi avions entamé notre plan pour partir loin de chez mes parents, loin de leur emprise.
Que s’était-il passé ensuite ? Pourquoi n’arrivé-je pas à m’en souvenir ? Que m’était-il arrivé ?
J’attendis du bruit au loin. Un claquement de porte. Des pas crissant, se rapprochant. Quelqu’un devait savoir que je me trouvais ici. Peut-être même la personne qui m’avait enfermé là.
Les foulées se rapprochèrent de plus en plus, jusqu’à s’arrêter devant moi. Un homme, de grande taille, habillé de noir avec un chapeau qui cachait son visage, se tenait devant moi.
« Mange, » ordonna-t-il.
Il ouvrit la serrure de mon cachot avec de vieilles clés, puis me balança un baluchon à mes pieds. J’eus à peine le temps de reprendre mes esprits qu’il avait déjà fermé ma prison et était parti sans demander son reste.
Je me penchai et ouvris délicatement le torchon. Dedans se trouvaient trois tranches de pain, un morceau de viande, et une tomate.
D’où venaient ses provisions ?
Malheureusement, je le savais déjà.
D’où provenait la richesse de mes parents ? Pourquoi notre nom était Deschamps ?
Nous possédions tous les champs cultivables de la région, voilà pourquoi. Des champs de blé aux champs d’élevage bovin. Tout ce qui provenait de mon minuscule sac de provision venait de chez nous. Et une partie de moi savait qui m’avait mis dans cette prison. Même si je n’étais pas au courant que nous en avions, j’étais sûre à 100% de ceci : mes parents m’avaient enfermé ici !
*
J’étais à bout de souffle ! Nous courrions pour échapper aux gardes qui étaient sur nos pas. Les gardes de mes parents. Comment diable avaient-ils appris que nous voulions partir ce soir ? Je ne le savais point, cependant ce n’était pas important pour le moment. Non, il fallait à tout prix que nous leur échappions.
Anthony me traînait à travers les champs qu’il connaissait si bien, à force d’y travailler. Il s’engagea dans des allées que je n’avais même jamais vues. C’était un immense labyrinthe. Si par malheur, nous étions séparés, je ne pourrais jamais retrouver mon chemin.
Nous courûmes toujours plus vite, toujours plus loin, mais rien n’y faisait. Les gardes étaient encore derrière nous. Je commençais à penser qu’il fallait dire adieu à notre rêve, à notre liberté.
Puis soudain, je le vis. Mon père, au milieu du chemin, se tenant bien droit à côté de sa calèche.
Nous nous arrêtâmes aussitôt. Nous n’avions pas le choix, il nous bloquait le passage. Nous étions encerclés.
« Père, » dis-je avec colère.
« Retourne à la maison et nous oublierons tout, » ordonna-t-il.
« Hors de question. »
« J’aurais dû écourter ce rêve depuis le jour où je vous ai surpris vous embrassant dans un de mes champs. Quelle erreur de ma part. Mais je pensais te faire plaisir. Je pensais que ce n’était qu’une passade. Mais quand ta mère m’a dit qu’il manquait des provisions, que certaines de tes robes avaient disparues, j’ai su qu’il fallait que j’agisse. Et que je mette un terme à ceci ! »
« Et que comptes-tu faire, père ? »
« L’arrêter pour trahison, afin qu’il soit pendu. C’est tout ce qu’il mérite. Quant à toi, j’hésite encore entre t’enfermer dans ta chambre pour toujours ou dans le cachot familial ! »
« Crois-tu vraiment que nous allons te laisser faire ? »
« Tu n’as pas le choix, tu es encerclée, » répondit-il.
« Non »
Ce fut mon dernier mot avant de passer à l’attaque. Je me mis à courir vers mon père tandis qu’Anthony se dirigeait vers les gardes. Malgré mes vêtements, je réussis à envoyer un coup de pied au ventre de mon paternel, qui recula de surprise. Mais il se ressaisit bien trop vite. Alors que je tentais de le faire tomber, il attrapa ma jambe et m’envoya valser contre le carrosse. Légèrement sonnée, j’essayai de me relever. Mais mon père me saisit et me força à voir ce qu’il se passait. Ce que je vis fut le pire moment de ma vie : Anthony gisant par terre, en sang, les gardes de mes parents se tenant au-dessus de lui.
« NNOOONNN ! » criai-je.
Je me débattis, afin de sortir des bras qui m’entouraient et de le rejoindre. Il ne bougeait plus. Pitié, faites qu’il remue, qu’il dise quelque chose. N’importe quoi !
« Tu vas le regretter, » lançai-je à mon père.
« Au contraire »
Ce furent les dernières paroles que j’entendis. Puis, je reçus un coup sur la tête et tout devint noir.
*
J’étais en colère ! Comment avaient-ils pu me faire ça ? Mes propres parents !
Je n’allais pas rester là sans rien faire. Je devais trouver un moyen de me libérer toute seule, de trouver Anthony et d’accomplir la pire vengeance envers mes parents : partir avec mon amour sans un regard ni un mot en arrière.
Voyons quelles étaient mes options ? Il faisait toujours aussi noir, toutefois mes yeux avaient pu s’habituer un peu à mon environnement. Je ne possédais pas beaucoup de choses pour m’aider. Cela se résumait à mes accoutrements, mes chaussures pleines de boues et mon baluchon. Mais je pouvais tenter quelque chose. Connaissant mes parents, ils n’entretenaient pas cette partie de leur propriété. Cela voulait dire que je pouvais avoir la porte de mon cachot à l’usure.
Enroulant le torchon du baluchon autour de ma chaussure droite, je pris mon élan et commençai à frapper l’ouverture aussi fort que possible. Cela fit un boucan incroyable. Mais je recommençais encore et encore. Au bout de plusieurs heures, enfin, c’est ce qu’il me semblait, car j’avais perdu la notion du temps, la grille bougea. D’un micro centimètre. C’était déjà ça ! Et ça me redonna la force de continuer, jusqu’à ce que la porte s’ouvre assez pour me laisser passer. Lorsque j’y parvins enfin, j’étais couverte de sueur, avec des membres endoloris.
Le battant était assez ouvert pour que je passe, mais seulement si j’enlevais le superflu de vêtement que je portais. Ma robe était trop dense pour que je sorte avec. Heureusement, j’avais une sous-tunique. Cela me prit quelques minutes pour me déshabiller tellement ma robe était serrée. Une fois libérée de cette entrave, je me faufilai par le trou que j’avais créé entre la porte et mon cachot. Enfin, j’étais sortie !
Je me mis à courir afin de trouver la sortie, mais cette prison était un labyrinthe. Comment trouver l’issue dans cette obscurité ? Il fallait que je persiste, je ne pouvais pas abandonner maintenant.
Je pris à droite et soudain, je percutai quelqu’un. Surprise, je reculai et me préparai à me battre.
« Victoria, » s’exclama une voix que je connaissais bien.
« Lydie, » fis-je avec soulagement.
« J’allais venir vous chercher, » dit-elle. « Anthony nous attend dehors. »
« Anthony ? Il est là ? » demandai-je avec insistance. « Il est vivant ? »
« Oui, il vous attend, Mademoiselle. Je suis allée le chercher en premier. Votre père voulait le faire exécuter demain matin, je ne pouvais pas attendre. »
« Vous avez bien fait, Lydie. »
« Venez, ne perdons pas de temps. Suivez-moi. »
Me prenant par le bras, ma chaperonne me guida à travers les couloirs jusqu’à atteindre la sortie. Je la sentis avant de la voir, le vent se soulevant dans le corridor. Puis, je vis ce qui m’attendait au bout du chemin.
Je me précipitais vers lui, tellement heureuse de le voir après cette nuit fatidique. Il m’attendait, mal en point, les bras prêts à me réceptionner. Je me jetai dedans et l’embrassais avec passion.
« Tu m’as manqué, mon amour, » me chuchota Anthony dans l’oreille.
« Toi aussi, » répondis-je.
Je ne voulais plus le quitter, me sentant bien et à ma place dans le creux de ses bras.
« Vous devez partir, » lança ma chaperonne, nous interrompant. « Votre père a dû apprendre qu’Anthony s’était échappé de sa prison. Il va aussi bientôt remarquer que vous n’êtes plus dans votre cachot. Il faut partir avant qu’il ne s’en aperçoive et qu’il vous rattrape. »
« Mais vous, qu’allez-vous faire ? » demandai-je, soudain anxieuse pour mon amie.
« Ne vous inquiétez pas pour moi, je vais partir d’ici aussi. Je vais retourner chez mes parents et faire profil bas. Votre père ne mettra pas longtemps à découvrir que c’est moi qui vous aie aidé. »
« Prenez bien soin de vous, Lydie. Vous allez me manquer. »
« De même, Mademoiselle. Prenez bien soin d’elle, Monsieur Anthony. »
« Promis, » répondit l’intéressé en me souriant.
Puis, nous nous séparâmes. Lydie partit de son côté tandis qu’Anthony et moi, main dans la main, nous dirigeâmes vers une nouvelle vie. Une vie où nous serions libres de nous aimer, libres de l’influence de mes parents, libres, tout simplement.
Crédit photos : Pinterest, montage fait sur Canva
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